samedi 4 août 2012

Rousseau, la comédie des masques d'Olivier Marchal

Voici une nouvelle lecture historique qui n'est pas sans rappeler celle que j'avais déjà exposée ICI... Après Voltaire, voici Rousseau ! Rousseau est un auteur auquel je suis très attachée depuis fort longtemps. Je l'ai dévoré quasi intégralement alors que j'étais encore au lycée (pas de date, merci...), c'est un personnage qui a longtemps habité près de chez moi et qui plus est, on fête cette année le tricentenaire de sa naissance, notamment là où je travaille... C'est un auteur souvent mal aimé et la vie qu'on lui prête se résume à une suite de clichés (un parano qui donne des leçons d'éducation mais a abandonné ses enfants). Après dix années de recherches, Olivier Marchal tente de montrer un tout autre Rousseau dans un portrait nuancé.

L'éditeur en parle : d'abord édité aux éditions Télémaque (que je ne connaissais pas), le livre est depuis sorti en poche chez Folio.
"Monstre d’égoïsme, misanthrope maladivement paranoïaque, capable d’abandonner sans remords plusieurs de ses enfants… Jean-Jacques Rousseau est aujourd’hui encore sous le coup d’un jugement sans appel sur ses mœurs et sa personnalité.

En nous plongeant au cœur bouillonnant de la vie mondaine du XVIIIe siècle, de l’intimité amoureuse et psychologique de ses figures les plus célèbres, Olivier Marchal propose un portrait radicalement nouveau, plus attachant et nuancé, de l’auteur des Confessions.

Alors que ses amis Encyclopédistes lui prédisent un avenir glorieux, Rousseau décide inexplicablement de tourner le dos à son destin.
Est-il le jouet de sa propre manipulation ou la victime d’implacables adversaires de l’ombre ?

Riche de détails méconnus, souvent puisés dans les écrits mêmes de Jean-Jacques ou de ses contemporains, cette évocation ressuscite Diderot, Thérèse Levasseur, Grimm, d’Alembert, Louise d’Épinay, Madame Dupin, la comtesse d’Houdetot ou Voltaire…

Tous acteurs d’une troublante Comédie des masques, ils semblent prisonniers de leurs personnages et des soubresauts d’un monde finissant, bouleversé par les visions prémonitoires d’un de ses plus grands pourfendeurs."

Ce qui m'a donné envie de le lire : 
Eh bien, c'est à nouveau une chronique radiophonique de Gérard Collard, ce libraire enthousiaste de Saint-Maur (j'adore l'entendre parler de livres, je trouve qu'il les expose magnifiquement !), comme pour La Baronne meurt à cinq heures de Frédéric Lenormand. Cette chronique est ICI (clic). En outre, et comme souvent, je me suis dit que cette lecture pourrait sans doute être réalisée par des lycéens...

Mon avis après lecture : 
Je meurs désormais d'envie de lire le second volet, Rousseau, le voile déchiré, et je sens que mes lycéens vont apprendre à connaître cette célébrité locale autrement ! Le blog de l'auteur (héhé un collègue !) est ICI et je sens que je vais le visiter de fond en comble ! Je partage sa passion pour le XVIIIe siècle, siècle fabuleux, intense, et je suis ravie de cette belle découverte !
Un bémol toutefois (bémol qui n'en est un que dans le cadre de l'utilisation professionnelle envisagée) : il s'agit d'une œuvre de fiction (comme l'affirme l'auteur dans un article en trois temps : ICI puis ICI et enfin ICI). D'ailleurs la couverture de l'édition initiale chez Télémaque porte la mention "roman". Il est fort difficile (impossible ?)de faire la part des choses entre fiction et réalité, ce qui est littérairement tout à fait adapté (bravo à l'auteur !), mais qui peut poser problème à de jeunes lecteurs, qui ont toujours du mal à ne pas croire dur comme fer à la véracité des romans qu'ils lisent ("Mais madame finalement, qu'est-ce qui lui arrive à Machin, dans telle œuvre ? -- Eh bien, l'auteur n'en dit rien, donc à toi d'imaginer ! -- Oui, mais en vrai ? -- Eh bien, Machin est un être de papier, donc il n'existe que dans l'imaginaire des lecteurs comme toi..." Oui mais là, c'est Rousseau, on le connaît ou en tout cas, on ne l'ignore pas, et il va être compliqué de faire comprendre que c'est un Rousseau qui nous est proposé ici, une vision de Rousseau, étayée de recherches, mais un Rousseau tout de même incertain dans un roman, "mensonge qui dit la vérité" comme disait Cocteau de l'art, je crois... Bref, le livre a le défaut de ses qualités. Il sonne juste, il donne envie de croire, ce Rousseau-là me plaît ! Même s'il convient de relativiser et de se rappeler que trop d'ambiguïtés subsistent et que l'on ne saura jamais vraiment ce qu'il en a été...


Bonheur de phrases : que le choix fut difficile !

Rousseau et Diderot assistent à la discussion alors que Rousseau vient de recevoir le premier prix de l'Académie de Dijon pour son Discours sur les sciences et les arts.
"Ce brave homme, originaire de Genève [Rousseau donc !], prétend que nos richesses nous corrompent, qu'elles encouragent l'oisiveté ! Nos arts, nos sciences, ne seraient même que le produit funeste de cette oisiveté ! 
-- Comment lui donner tort ? demanda son voisin en prenant l'assistance à témoin. D'ailleurs, à voir nos mines replètes et nos ventres rebondis, on ne peut que s'interroger !"

Diderot qui aurait selon le roman suggéré à Rousseau d'adopter le masque de Diogène le cynique, en lui conseillant de "[s']enfourner dans [son] tonneau" et de "dénoncer [les] nombreux travers" de ses contemporains, le met plus tard en garde : 
"A trop jouer la comédie, le visage dissimulé derrière un masque, on risque quelquefois de ne plus savoir qui on est. Et tu finiras bien par t'y perdre toi-même..."

C'est la comédie des masques du titre, que Julie de Lespinasse évoque à d'Alembert en ces termes (et qui moi, m'a fait penser aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos...) : 
"[...] pour rendre l'existence supportable, nous avançons masqués, en jouant nos rôles avec civilité et urbanité. Certains n'ont aucun effort à fournir pour entrer dans la peau de leur personnage, mais pour d'autres, l'apprentissage est souvent douloureux."

Je ne saurais trop vous conseiller de lire ce livre, qui donne à Rousseau un nouveau visage... Le vrai ? Qui sait ? Peu importe. C'est un livre riche qui procure un réel plaisir de lecture. Que demander de plus ?