mardi 30 octobre 2012

Ils désertent de Thierry Beinstingel

Je crois bien ne jamais vous avoir présenté de roman de Thierry Beinstingel... ce qui est un comble alors que je le connais de longue date, que je suis une groupie, que je crois avoir lu tout ce qu'il a écrit ou presque et que je le fais même lire à mes élèves qui auront la chance de le rencontrer très bientôt... Il est temps de remédier à cela, au moment où, zut de zut, les dernières listes du Goncourt et du Femina viennent de sortir et qu'il n'y figure plus alors que... enfin bon, bref, snif  :-(

L'éditeur en parle (et cite la quatrième de couverture) : 
Ses collègues l’appellent l’« ancêtre » ou l’« ours », peu importe le surnom, pourvu qu’on lui concède sa vie de solitude sur les routes. Il est VRP en papier peint depuis quarante ans. Soudain, sa hiérarchie voudrait qu’il vende aussi des canapés. Mais quand il songe au temps qu’il a fallu à l’espèce humaine pour apprendre à se tenir debout, il juge cette évolution déshonorante. D’où lui vient une telle idée ? Peut-être de la correspondance de Rimbaud… Car, en chemin, toujours, il emporte les œuvres du plus célèbre voyageur de commerce. C’est une toute jeune femme sans beaucoup d’appuis, elle ne doit son diplôme de commerce qu’à son mérite. Et elle vient d’être nommée à la tête de l’équipe de ventes !
Salaire inespéré, qui lui a permis d’acheter à crédit un appartement trop grand pour elle, dont une pièce reste obstinément vide. Y installera-t-elle un canapé ? Peut-être le jour où elle fera une rencontre amoureuse qu’elle ne jugera pas comme une menace. La première mission de la jeune femme est claire : licencier l’ancêtre sans délais. Ils devraient s’affronter. Mais l’être humain trouve parfois d’étonnantes ressources pour braver la logique d’entreprise en se réinventant un destin.

Ce qui m'a donné envie de le lire : 
Je vous l'ai dit, je suis une lectrice inconditionnelle, et ce depuis Central en 2000... J'apprécie à la fois les thèmes profondément actuels évoqués, la vision du travail que Thierry Beinstingel construit dans son œuvre et aussi son travail littéraire. Et puis là, Rimbaud en plus...et Hannah Arendt citée ("tout ce qui est produit par l'homme peut être détruit par l'homme, et aucun objet d'usage n'est absolument nécessaire")...

Mon avis après lecture : 
De façon prévisible, j'ai beaucoup aimé. J'ai aimé l'histoire à la fois si banale et si extraordinaire de ces deux êtres et j'ai aimé retrouver l'écriture véritablement travaillée de Thierry Beinstingel. L'absence de nom donné, comme une absence d'identité, marquant la déshumanisation ambiante, mais aussi la polyphonie et l'alternance grammaticale des deuxièmes personnes, ce qui marque la différence de statut et d'âge des personnages... Une lecture qui rappelle aussi le sort trop souvent fait aux "ancêtres", qui devront pourtant travailler de plus en plus longtemps pour voir arriver leur retraite, mais qu'on poussera sans état d'âme vers la sortie, quels que soient leurs résultats...

Bonheur de phrases :
" Seule vous était restée la vague impression d'une existence, comment dire, d'imitation, que vous n'aviez pas choisie, faire comme tout le monde, s'asseoir dans un canapé, boire un whisky, quelque chose de déjà vu dans des films, à la télévision, quelque chose de factice, une contrefaçon, une laideur de bibelot kitsch qui vous donnait maintenant la nausée, comme si vous en aviez abusé."

" On s'est fourvoyé dans l'absolu d'un bon goût universel et incontestable pour ne pas être choqué par la fantaisie, l'extravagance. C'est une grossière erreur : leur beauté éclatera au grand jour lorsque nous en aurons fini avec nos peurs."

"Est-ce que tout ceci a un sens, vie, mort, mots, alexandrins, slogans de pub, articles de commerce ? Tu repars chamboulée."

"Les mots sont revenus avant même la conscience. [...] Maintenant vous vivez puisque vous avez retrouvé le langage."

"Tout a été alors différent, les livres avaient ouvert une brèche, laissé des portes ouvertes. Les mots à partager, regarde !"


Que dire de plus ? Les mots à partager... Aimer le langage. Aimer la vie.

2 commentaires:

  1. Rien qu'en lisant ton commentaire, j'ai très envie de le lire, d'autant que j'avais adoré "retour aux mots sauvages"... je crois que je vais voir si ma bibli l'a, et sinon, ce sera une idée à suggérer au Père Noël...
    La rencontre avec tes élèves va être un pur moment de bonheur, je pense...
    Bises et belle soirée.

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  2. Dommage et (soupirs...) de ne pas avoir plus de temps à consacrer à la lecture. C'est une mine ici.
    Belle et douce journée,bises

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