mercredi 21 janvier 2015

Une Vie à soi de Laurence Tardieu

Voici un livre voyageur que j'ai reçu grâce à la générosité de Leiloona du blog Bricabook (CLIC). 

L'éditeur en parle : 
Une vie à soi 
À quoi cela a-t-il tenu ? À la solitude d'un jour d'automne, à la tristesse tenace de ces derniers mois, au souvenir inattendu du Jeu de paume où elle se rendait parfois enfant ? Peu de choses, en somme, qui conduisent Laurence T. à pousser la porte de l'exposition consacrée à la photographe Diane Arbus. Le choc, d'abord esthétique, devient peu à peu existentiel. La narratrice va revisiter son histoire personnelle et familiale à la lumière de celle de Diane Arbus, jumelle soudain découverte. Leurs histoires se répondent: l'enfance est privilégiée mais recluse, le désir de venir enfin au monde se confond avec celui de créer, les hommes et les enfants sont toujours là, essentiels. En partant à la recherche de Diane Arbus, Laurence T. va se reconnaître elle-même dans le miroir. Ce livre entrelace souvenirs, évocations, scènes d'hier et d'aujourd'hui, rêves et fragments biographiques pour devenir le roman d'une rencontre et d'une quête, celle d'une vie enfin retrouvée.

Ce qui m'a donné envie de le lire : 
C'est tout simple : c'est le billet de Leiloona que vous pouvez lire ICI. Je ne connaissais absolument pas cette auteure mais ce que Leiloona disait m'a séduite. 

Mon avis après lecture : 
Je n'ai pas été déçue. J'ai dévoré ce livre, j'ai noté des citations toutes les dix pages, peut-être plus. C'est vraiment un texte qui m'a parlé. J'en suis sortie à la fois émue et conquise. J'ai aimé l'introspection, notamment les réflexions sur l'écriture, la vie et l'art avec ce parallèle entre Laurence T. et Diane Arbus. C'est sûr : je vais lire d'autres oeuvres de Laurence Tardieu. 

Quelques phrases en passant : 

"Je ne savais pas, auparavant, le bonheur que c'était de sentir l'air sur son corps.
Je ne savais pas le bonheur que c'était de marcher très doucement sur les trottoirs bordés de marronniers. 
[...]
Je ne savais pas, auparavant, la joie que c'était d'être vivant." 

"[...] la vie n'est pas seulement ordre, clarté, cohérence, verticalité, unicité, maîtrise, toutes ces choses qui, lorsqu'elles existent seules, sont effrayantes -- mais aussi désordre, ombre, folie, aliénation, effondrement. On n'est pas toujours debout. On est parfois à terre. On est parfois hurlant. En mille morceaux. Oui, la vie est immense, ouverte sur des abîmes. Ouverte sur des espaces. La vie est bien vivante."

"Les mots s'écrivaient, je les découvrais. C'était celle que j'étais qui commençait à s'écrire, et que je reconnaissais enfin. C'était celle que j'étais qui commençait à exister. J'avançais vers les territoires interdits : ceux situés de l'autre côté des convenances, des masques, des décors parfaits. J'avançais, mot après mot, vers le vivant."

Et moi, je vais avancer vers l'oeuvre de Laurence Tardieu. Merci pour cette belle découverte, Leiloona. 

mardi 6 janvier 2015

Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud

Encore un livre de la rentrée littéraire de septembre que je viens de lire alors que tout le monde évoque la rentrée littéraire de janvier ;-) 

L'éditeur en parle : 

Il est le frère de “l’Arabe” tué par un certain Meursault dont le crime est relaté dans un célèbre roman du xxe siècle. Soixante-dix ans après les faits, Haroun, qui depuis l’enfance a vécu dans l’ombre et le souvenir de l’absent, ne se résigne pas à laisser celui-ci dans l’anonymat : il redonne un nom et une histoire à Moussa, mort par hasard sur une plage trop ensoleillée.
Haroun est un vieil homme tourmenté par la frustration. Soir après soir, dans un bar d’Oran, il rumine sa solitude, sa colère contre les hommes qui ont tant besoin d’un dieu, son désarroi face à un pays qui l’a déçu. Étranger parmi les siens, il voudrait mourir enfin…

Hommage en forme de contrepoint rendu à L’Étranger d’Albert Camus, Meursault, contre-enquête joue vertigineusement des doubles et des faux-semblants pour évoquer la question de l’identité. En appliquant cette réflexion à l’Algérie contemporaine, Kamel Daoud, connu pour ses articles polémiques, choisit cette fois la littérature pour traduire la complexité des héritages qui conditionnent le présent.

Meursault, contre-enquête figure parmi les 25 romans de l'année sélectionnés par les critiques du Point.

Ce qui m'a donné envie de le lire :
Il y a des lustres, j'avais sur ma liste de bac de français L'Étranger de Camus et cette oeuvre figure toujours très régulièrement sur des listes d'oral de bac. Je ne l'ai, pour ma part, jamais étudiée avec des élèves mais l'existence de ce roman m'a fait penser que ce serait une possibilité en L dans le cadre de l'objet d'études "réécritures". J'ai donc voulu savoir si, lorsque ce roman serait paru en poche (le prix actuel des romans est prohibitif pour les lycéens, il faut en être bien conscient), il me donnerait envie de l'étudier. 

Mon avis après lecture : 
J'ai trouvé la lecture tout à fait intéressante. La langue est magnifique, ample et travaillée : c'est un bonheur de lire Kamel Daoud. En outre, pour répondre à mon interrogation précédente, il s'agit d'une véritable réécriture de L'Étranger, et à ce titre, il sera sans doute possible de travailler les deux oeuvres en première L.
Toutefois, je dois préciser, au cas où des collègues me lisent ;-), que la lecture me semble nécessiter un accompagnement car les événements qui entourent le meurtre perpétré le 5 juillet 1962 ne sont pas forcément connus des jeunes... ce qui fait que le point de vue du frère de Moussa peut ne pas être bien perçu. Par ailleurs, j'ai bien aimé cette lecture, mais j'ai vraiment regretté la confusion entre l'auteur et le narrateur de L'Étranger dans les propos d'Haroun (non, Meursault n'a rien écrit... c'est Camus le prix Nobel de littérature ! Cette confusion est très gênante pour une lecture par les lycéens...). J'ai aussi regretté l'acte d'Haroun, qui m'a finalement (et paradoxalement) semblé affadir le roman. 

Quelques phrases au fil des pages : 
"Aujourd'hui, M'ma est encore vivante." 

"Une langue se boit et se parle, et un jour elle vous possède ; alors, elle prend l'habitude de saisir les choses à votre place, elle s'empare de la bouche comme le fait le couple dans le baiser vorace."

"J'ai brièvement connu le génie de ton héros : déchirer la langue commune de tous les jours pour émerger dans l'envers du royaume, là où une langue plus bouleversante attend de raconter le monde autrement.[...] C'est le génie de ton héros : décrire le monde comme s'il mourait à tout instant, comme s'il devait choisir les mots avec l'économie de sa respiration. C'est un ascète."

"Regarde bien cette ville. On dirait une sorte d'enfer croulant et inefficace. Elle est construite en cercles. Au milieu, le noyau dur : les frontons espagnols, les murs ottomans, les immeubles bâtis par les colons, les administrations et les routes construites à l'Indépendance ; ensuite, les tours du pétrole et leur architecture de relogements en vrac ; enfin, les bidonvilles. Au-delà ? Moi j'imagine le purgatoire. Les millions de gens morts dans ce pays, pour ce pays, à cause de lui, contre lui, en essayant d'en partir ou d'y revenir."

Un joli premier roman, une lecture que j'ai appréciée mais qui, à mon sens, nécessite impérativement une relecture préalable du très beau roman de Camus, L'Étranger